Oware : De la sagesse ancestrale ghanéenne à un sport intellectuel moderne
- Ngoufo Gangnimaze
- 18 août
- 4 min de lecture

L'Oware, souvent surnommé le « jeu de la sagesse », est l’un des plus anciens et des plus prestigieux jeux de stratégie africains. Né au cœur du Ghana, au sein du peuple Akan aux alentours du 13eme siècle, il a traversé les siècles pour s’imposer comme un véritable patrimoine culturel. Bien plus qu’un simple divertissement, l’Oware incarne la mémoire, la logique, la convivialité et l’intelligence collective. Aujourd’hui, il connaît une renaissance spectaculaire : outil pédagogique, sport intellectuel compétitif et symbole identitaire, il rayonne à nouveau bien au-delà des frontières ghanéennes.
Héritage et origines : le « jeu des rois »
Chez les Akan, l’Oware a longtemps occupé une place centrale. Dans les royaumes historiques d’Asante et de Denkyira, il se jouait lors des cérémonies royales sur des plateaux richement décorés, sculptés dans l’ivoire et ornés d’or. Mais il appartenait aussi au quotidien des villages : autour d’un plateau en bois et de graines, enfants, adultes et anciens partageaient rires, stratégies et récits.

Le plateau se compose de douze cases et de quarante-huit graines. Les règles sont simples, mais leur maîtrise exige mémoire, patience et prévoyance. À l’image des échecs ou du jeu de go, l’Oware séduit par sa double nature : facile à apprendre, mais d’une profondeur stratégique infinie. Elles sont identiques à l'Awalé ivoirien, sans grande surprise vu que les Baoulé ivoirien font partie du groupe ethnique Akan. Disponibles ici.
Transmis de génération en génération, souvent par les grands-parents, il véhicule les valeurs de convivialité, de patience et d’anticipation, fondamentales dans la société ghanéenne.
L’Oware, un éducateur silencieux
Au-delà du plaisir, l’Oware est reconnu comme un outil pédagogique puissant. Les enseignants ghanéens le décrivent comme un « éducateur silencieux » qui développe chez l’enfant des compétences essentielles :
Mathématiques : compter, multiplier, soustraire, visualiser et organiser se font naturellement en distribuant les graines.
Logique et stratégie : prévoir les coups de l’adversaire affine le raisonnement et la planification.
Mémoire et concentration : il faut retenir les configurations pour anticiper plusieurs tours à l’avance.
Apprentissage social : patience, respect des règles, esprit de compétition constructive.
Dans des écoles d’Accra et de Kumasi, des clubs d’Oware ont déjà été mis en place. Les enseignants constatent une nette amélioration des capacités de calcul et d’attention chez les élèves pratiquants.
Acteurs et institutions de la renaissance
La redécouverte de l’Oware est portée par un réseau d’acteurs déterminés :
World Oware Federation (WOF) : basée à Londres et à Accra, elle codifie les règles, organise des championnats internationaux et positionne l’Oware sur la scène mondiale.
Ghana Oware Association (GOA) : elle pilote les compétitions nationales et milite pour que l’Oware devienne un sport officiellement reconnu au Ghana.
Oware Society : association à vocation éducative, elle organise des ateliers, des sessions mensuelles de découverte et des tournois locaux.
National Sports Authority (NSA) : elle collabore avec les chefs traditionnels pour inclure l’Oware dans la politique de promotion des sports indigènes.
Universités : l’Université du Ghana, entre autres, mène des recherches sur les vertus pédagogiques et culturelles du jeu.
Ces efforts combinés montrent que l’Oware n’est pas un vestige folklorique, mais un levier d’avenir pour l’éducation et le sport intellectuel.
Compétitions et champions ghanéens
Chaque année, le Championnat national d’Oware, organisé à Accra, rassemble les meilleurs joueurs du pays. Les vainqueurs acquièrent prestige, bourses et opportunités de représenter le Ghana à l’étranger.
Le pays a produit des champions de renommée internationale :
Ayirugu Azasemi (Kumasi) : vainqueur de la catégorie « Grand Masters » aux Jeux Nomades mondiaux de 2018 au Kirghizistan.
Gordon Akurugu (Kumasi) : troisième place lors de la même compétition.
Ibrahim Abubakar, surnommé « l’assassin de l’Oware » : champion du tournoi de Kumasi en 1997 et finaliste à l’Antigua Open International Warri Championship en 2003.
Leur parcours illustre la capacité du Ghana à s’imposer comme gardien et ambassadeur mondial de l’Oware.
Artisanat et identité culturelle
Les plateaux d’Oware sont eux-mêmes des objets d’art. Sculptés dans le bois par des artisans locaux, parfois décorés de motifs symboliques, ils reflètent le savoir-faire et l’esthétique ghanéens. Certains sont simples et utilitaires, d’autres richement travaillés, témoignant d’une tradition artisanale vivante.
En valorisant la fabrication locale et équitable, la renaissance de l’Oware soutient aussi l’économie artisanale et contribue à la préservation culturelle.
L’Oware à l’ère numérique
Pour séduire les nouvelles générations, l’Oware s’invite désormais sur nos écrans :
Oware (ArtSoftGH) – application Android avec mode solo (IA) et multijoueur en ligne.
Oware Master – version iOS en 3D avec plusieurs niveaux de difficulté et classement mondial via Game Center.
Oware Lite – application iOS minimaliste, permettant de personnaliser les règles.
playawale.com – version gratuite en ligne, sans inscription, avec quatre niveaux de difficulté.
Grâce à ces outils, l’Oware continue de se transmettre et de se réinventer, en reliant tradition et modernité.
Un vecteur d’unité et de dialogue
Au Ghana, l’Oware n’est pas seulement un jeu : il est un langage commun entre générations et un symbole de cohésion. Dans les festivals culturels, les écoles et les communautés, il est célébré comme un « miracle de l’unité », capable de rassembler autour du défi et du plaisir partagé.
À l’image de l’Ayo au Nigéria, l’Oware participe d’un mouvement panafricain visant à redonner à l’Afrique la place qu’elle mérite dans l’univers des jeux de stratégie.
L’avenir de l’Oware
Les ambitions autour de l’Oware sont claires :
Son intégration officielle dans le programme scolaire ghanéen.
Sa reconnaissance comme sport intellectuel au même titre que les échecs.
Sa présence dans des compétitions continentales comme les Jeux Africains.
Sa promotion internationale via la World Oware Federation.
Son accession, un jour peut-être, au rang de discipline olympique.
Loin d’être un simple divertissement, l’Oware est un patrimoine africain vivant, porteur de valeurs universelles : intelligence, patience, mémoire et stratégie.
Conclusion
De la cour des rois Ashanti aux applications mobiles, l’Oware incarne un voyage unique entre tradition et modernité. Il est à la fois un jeu, un outil éducatif, un sport intellectuel et un symbole identitaire.
En redonnant à l’Oware ses lettres de noblesse, le Ghana démontre que l’Afrique a produit, elle aussi, des trésors stratégiques comparables aux Echecs ou au Go. Chaque graine déposée dans une case résonne comme un héritage et un défi pour l’avenir : faire de l’Oware un ambassadeur mondial de l’intelligence africaine.




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